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Les traductions espagnoles d’Une saison en enfer à l’épreuve de l’oralité

The Question of Orality in the Spanish Translations of Une saison en enfer
Nieves Arribas et Olivier Bivort

Résumés

Une saison en enfer est une confession qui puise dans les ressources de l’oralité (de l’oralité écrite) une grande partie de sa force et de son impétuosité. Après une brève histoire des traductions espagnoles d’Une saison en enfer, cette étude se propose de soulever quelques problèmes traductifs liés à la dimension oralisante du texte de Rimbaud d’un point de vue tonal, lexical, syntaxique et pragmatique.

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Texte intégral

  • 1 Guillemets non refermés, par inadvertance du typographe ou de l’auteur, on ne sait.
  • 2 « Écoutez !.... », « Tais-toi, mais tais-toi !... », « j’ai un oreiller sur la bouche, elles ne m’e (...)
  • 3 « Écoutons la confession d’un compagnon d’enfer », Id., Délires I, dans OC, p. 259.

1Le prologue d’Une saison en enfer, qui s’ouvre sur des guillemets1, est placé d’emblée sous le signe de la parole : les guillemets introduisent un discours à la première personne, adressé tantôt à un hypothétique lecteur, tantôt au narrateur lui-même, ou encore à Satan, destinataire du « carnet de damné » dont l’« écrivain » a détaché, pour lui complaire, les « quelques hideux feuillets » qui formeront son livre. Cette parole, écrite, prend force dans l’élocution : le narrateur rend compte de son expérience, passée et présente, en suivant le déroulement de sa pensée ; il raconte, s’interrompt, se reprend, « crie » et s’exclame comme s’il pensait à haute voix, ou comme si la représentation mentale de son propos, avant qu’il ne soit couché sur le papier, fût d’abord verbale. Cette poussée verbale, qui n’est ni constante ni uniforme mais dont le texte présente les signes en abondance, produit un effet de spontanéité qui implique directement le lecteur, invité à « écouter » la confession du damné2, ou encore à « écouter » les récriminations de la « vierge folle » rapportant les paroles de l’« époux infernal », cet alter ego du narrateur3.

2Quand elle se libère, la parole entre en résonance avec les affects et les pulsions : proférée par un narrateur qui nous invite à l’entendre, elle est révélatrice de son état de crise. Elle épouse alors toutes les inflexions de la voix, de l’apathie à la fureur, de la douleur à l’exaltation ; elle emprunte à la langue ses formes les plus directes, parfois les plus élémentaires ; elle prend corps avec elle. Mais le « combat spirituel » (Adieu) mené par le narrateur de la Saison a beau être intime et douloureux, il n’est pas seulement intériorisé. Il vise autant à assurer au sujet son autonomie et sa liberté qu’à « changer la vie » en général (Délires I). Des tête-à-tête avec soi-même jusqu’à l’inéluctable confrontation avec « l’autre » et « les autres », locuteur et allocutaires débattent et s’affrontent dans un jeu verbal proche de la théâtralisation ; aussi le dialogisme est-il, dans la Saison, au centre de l’énonciation.

  • 4 Les traces du français hypothétiquement parlé par Rimbaud apparaissent en grande partie dans sa cor (...)
  • 5 H. Wetzel parle d’un sujet « décentré » et de la « désagrégation du sujet parlant », voir H. Wetzel (...)
  • 6 « Ce qui rend le récit […] unique en son genre et extrêmement difficile à cerner », écrit Yoshikazu (...)
  • 7 Danielle Bandelier parle de style « mixte » par lequel Rimbaud « passe de la familiarité du style o (...)

3Il serait abusif, cependant, de voir dans la prose de la Saison un modèle de conversation ou une transposition de la langue parlée. L’oralité dans l’écrit – et a fortiori dans un texte en prose « poétique » de la deuxième moitié du XIXe siècle – ne saurait être jugée sur le français parlé de 1873, ni sur la manière dont l’auteur lui-même s’exprimait à cette époque4 ; non par manque d’attestations ou de témoignages, mais parce que le genre auquel son livre s’apparente en conditionne, malgré tout, les usages et les formes. Rimbaud n’écrit ni un roman, ni une pièce de théâtre où l’oralité est codifiée selon la condition des personnages ; dans Une saison en enfer, c’est le narrateur qui prend la parole et fait entendre « sa » voix de la première à la dernière ligne. Ni l’instabilité de l’instance narrative5, ni la pluralité des destinataires6 ne le détournent de cette exigence, qui consiste à « parler » tandis qu’il écrit, et qui nous engage à l’« écouter » tandis que nous le lisons. Rimbaud module sa prose, en alternant les passages « oralisés » avec des états de langue qui appartiennent à la koinè littéraire de son temps, suivant les tensions, la nature et les objectifs de son propos ; dans son livre, la voix s’impose sur la réflexion dès que la pensée se cherche et s’emballe, dès que le simple constat d’une réalité ne suffit plus7. Ainsi le discours métapoétique et anthologique de Délires II est-il très peu oralisé, alors que le récit paroxystique de Nuit de l’enfer semble manifester directement les tourments d’un narrateur devenu, par la force des choses, un véritable « locuteur ».

  • 8 Voir J. Rivière, Rimbaud, dossier 1905-1925 [1912], éd. R. Lefèvre, Paris, Gallimard, 1977, p. 173- (...)
  • 9 Voir en particulier Y. Nakaji, Combat spirituel ou immense dérision ?, cit., p. 83-89 ; D. Bandelie (...)
  • 10 M. Murat, L’Art de Rimbaud, nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Corti, « Les Essais », 2013 (...)
  • 11 Tous traits constitutifs de l’oral courant, y compris dans la langue d’aujourd’hui, voir F. Gadet, (...)

4Rimbaud cherche sa langue, ordonne et rythme ses phrases, mesure ses effets. Il n’est que de confronter les brouillons d’Une saison en enfer au texte définitif pour voir à quel point il condense sa forme et resserre sa pensée, toujours dans le sens d’une plus grande rigueur8. Et l’oralité n’est pas en reste dans ce travail de l’écriture, qui résulte d’un ensemble de procédés visant à imiter les propriétés de la langue parlée. Les auteurs des grands travaux pionniers sur Une saison en enfer9 ont ainsi relevé les traits caractéristiques de ce que Michel Murat appelle, chez Rimbaud, une « mimésis de la parole vive »10 : ils touchent la syntaxe et la morphosyntaxe (parataxe, ellipses, anacoluthes, dislocations), l’organisation du discours (répétitions, hésitations, faux-départs), le lexique (interjections, onomatopées, expressions figées, niveaux de langue), la prosodie (ponctuation expressive et affective, rythme, modulation, intonation), la rhétorique et la pragmatique (actes de parole)11. En voici deux exemples significatifs :

  • 12 A. Rimbaud, Mauvais sang, 5, dans OC, p. 251.

Connais-je encore la nature ? me connais-je ? – Plus de mots. J’ensevelis les morts dans mon ventre. Cris, tambour, danse, danse, danse, danse ! Je ne vois même pas l’heure où, les blancs débarquant, je tomberai au néant.
Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse !12

  • 13 Id., Mauvais sang, 8, dans OC, p. 252-253.

Assez ! voici la punition. – En marche !
Ah ! les poumons brûlent, les tempes grondent ! la nuit roule dans mes yeux, par ce soleil ! le cœur... les membres...
Où va-t-on ? au combat ? Je suis faible ! les autres avancent. Les autels, les armes... le temps !...
Feu ! feu sur moi ! Là ! ou je me rends. – Lâches ! – Je me tue ! Je me jette aux pieds des chevaux !
Ah !...
– Je m’y habituerai.
Ce serait la vie française, le sentier de l’honneur !13

  • 14 J.-L. Steinmetz, « Passage des voix. Éléments de diction pour le “Prologue” et Mauvais sang », dans (...)

5« On raisonne trop souvent sur la Saison comme s’il s’agissait uniquement d’un texte écrit », écrit Jean-Luc Steinmetz ; « à l’évidence, poursuit-il, nous avons bien affaire à cela. À l’évidence aussi, dès que nous nous lançons dans sa lecture, une voix nous parvient. Il est possible de la révoquer, de la faire taire. Dans ce cas l’incompréhension surgit, s’impose »14. S’il est relativement aisé d’isoler, d’un point de vue stylistique, les traits constitutifs de l’oralité écrite, il est plus difficile d’en saisir les propriétés affectives et il est extrêmement complexe d’en distinguer les modulations tonales, pourtant nécessaires à l’intelligence du texte. Lorsque, dans Mauvais sang, le narrateur invoque en vain le Christ contre les forces qui l’en éloignent, il souligne le déclin de la parole évangélique :

  • 15 A. Rimbaud, Mauvais sang, 3, dans OC, p. 249.

Le sang païen revient ! L’Esprit est proche, pourquoi Christ ne m’aide-t-il pas, en donnant à mon âme noblesse et liberté. Hélas ! l’Évangile a passé ! l’Évangile ! l’Évangile.15

  • 16 « Est-ce jubilation ou déploration, cette annonce que “L’Évangile a passé !ˮ ? Et cette modulation (...)

6La ponctuation de la dernière phrase, seul indice d’expressivité, nous force à lui donner un ton qui la rende significative : mais qu’est-ce que Rimbaud exprime dans cette séquence progressive ? Une constatation, un regret, de la dérision, de l’ironie, voire du mépris16 ? C’est dire combien les phénomènes liés à l’oralité dans l’écrit dépassent le cadre du style et exigent une grande capacité d’« écoute » de la part du lecteur et, par la force des choses, du traducteur.

*

  • 17 J. A. Millán Alba, « Rimbaud en Espagne », dans Rimbaud vivant, 30, numéro spécial du Centenaire, 1 (...)
  • 18 Voir R. Ferreres, Verlaine y los modernistas españoles, Madrid, Gredos, 1975 et T. Saéz Hermosilla, (...)
  • 19 D. Marín Hernández, « La construcción del sentido en el proceso de traducción. Arthur Rimbaud y sus (...)
  • 20 « Pésima ha sido la fortuna de Rimbaud en España. […]. El autor de El barco ebrio sigue siendo, por (...)

7Une saison en enfer a fait l’objet d’innombrables traductions, dans la plupart des langues du monde. Si nous avons choisi de nous arrêter sur les versions espagnoles, c’est d’abord pour permettre au lecteur « roman » d’apprécier les leçons des traducteurs, mais aussi pour contribuer, autant que faire se peut, à l’histoire de la réception de Rimbaud en Espagne et dans les pays d’Amérique latine. L’histoire des traductions participe en effet du mouvement de reconnaissance et d’intérêt pour un auteur dans un pays étranger autant que la réflexion critique ou que la circulation de ses œuvres en langue originale : or, de ce point de vue, la « fortune » de Rimbaud dans le monde hispanique n’a pas encore fait l’objet d’une étude systématique. En 1991, lors des célébrations du Centenaire, un des traducteurs espagnols de Rimbaud, José Antonio Millán Alba, pouvait soutenir dans un numéro spécial de Rimbaud vivant « la totale absence de traductions de [l’]œuvre [de Rimbaud] pendant la période antérieure à la guerre civile, ainsi qu’un inattendu désert bibliographique sur ce même sujet »17. Il faut dire que, dans la première moitié du XXe siècle, Rimbaud n’a pas suscité en Espagne un engouement comparable à celui qui fut réservé aux poètes parnassiens et en particulier à Verlaine18, ni du point de vue critique, ni du point de vue traductif. Contrairement à ce qu’affirme David Marín Hernández, le public hispanophone ne jouissait pas d’une « completa visión de la obra del poeta ya a principios de siglo »19, et Rimbaud demeura longtemps un poète peu connu et modérément apprécié en Espagne20. Ce n’est qu’à partir des années soixante-dix, à la fin du régime franquiste et pendant la période de la Transición, que se développe en Espagne une véritable culture rimbaldienne, y compris dans le domaine de la traduction. Il est néanmoins intéressant de s’arrêter sur les premières versions de l’œuvre de Rimbaud en langue espagnole avant 1939, ne fût-ce que d’un point de vue historique. Dans le Diccionario histórico de la traducción en España, José Francisco Ruiz Casanova résume ainsi les principales étapes de ce lent processus :

  • 21 Portal digital de Historia de la traducción en España, consulté le 20 mars 2021, URL : <http://phte (...)

Las primeras versiones aparecieron en antologías generales: Del cercado ajeno de Enrique Díez–Canedo (Madrid, Pérez Villavicencio, 1907), Imágenes (versiones poéticas) del mismo colector (París, Ollendorff, 1910) y La poesía francesa moderna de Díez–Canedo y Fernando Fortún (Madrid, Renacimiento, 1913), así como en las revistas poéticas españolas vinculadas con la vanguardia ultraísta (Cosmópolis, Grecia y Vltra), obra del propio Díez–Canedo, Mauricio Bacarisse, J. C. de Silva y Rafael Lasso de la Vega. No se dispuso de una versión española en libro exento hasta mediado el siglo XX, cuando Vicente Gaos y José Luis Cano publicaron un volumen de Poesías (Madrid, Rialp, 1946) y su reivindicación como referente para la cultura poética traducida al castellano se dio, sobre todo, a partir de la década de 1970.21

  • 22 Voir M. Ángel Lama, « Enrique Díez-Canedo y la poesia extranjera », dans Cauce, 22-23, 1999-2000, p (...)
  • 23 Sous le titre, abandonné aujourd’hui, de Una estacíon en el infierno, de Silva omet la dernière par (...)
  • 24 Sur Taller, dont Octavio Paz fut un des fondateurs, voir la notice de X. García dans l’Enciclopedia (...)
  • 25 Reprise en volume en 1942, México D. F., ed. Seneca, « El Clavo Ardiendo ».
  • 26 J. F. Ruiz Casanova, Dos cuestiones de literatura comparada, cit., p. 173.
  • 27 Voir en annexe la bibliographie détaillée des traductions espagnoles d’Une saison en enfer.

8Les choix du premier traducteur de Rimbaud en Espagne, Enrique Díez-Canedo (1877-1944) se limitent à quelques textes, parmi lesquels se détachent des poèmes en prose des Illuminations : en 1907, il publie une version du Dormeur du val et une traduction d’Aube, sous-titrée poema en prosa ; en 1910, paraît la version espagnole du Buffet et, en 1913, il ajoute à ces trois textes Voyelles, Antique, Royauté, Ville, À une raison et Chanson de la plus haute tour, sans mentionner Une saison en enfer, dont la longueur est probablement inappropriée au cadre de ses anthologies22. C’est dans la revue madrilène « ultraïste » Grecia que paraît, le 15 septembre 1920, la première version espagnole d’un extrait d’Une saison en enfer, en l’occurrence des fragments de Délires II, traduits par J. C. de Silva23. Mais c’est hors d’Espagne, et plus précisément au Mexique, que voit le jour la première traduction intégrale de la Saison en langue espagnole. Publiée en 1939 en supplément de la revue Taller24, elle est l’œuvre de José Ferrel y Félix (1865-1954) et est précédée d’une notice sur Rimbaud due à Luis Cardosa y Aragón25. Il n’est pas indifférent de constater que la plupart des traductions espagnoles de l’œuvre de Rimbaud publiées en volume après la seconde guerre mondiale et jusqu’au seuil des années soixante-dix ont une origine sud-américaine : non que l’Espagne franquiste ait ignoré l’auteur du Bateau ivre, mais, comme le souligne José Francisco Ruiz Casanova, « en el contexto histórico y estético de la poesía española no eran los años cuarenta tiempo de reinvindicar herencias vanguardistas ni, tampoco, simbolistas »26, et l’on peut comprendre qu’un œuvre comme Une saison en enfer où le narrateur se déclare « esclave de [s]on baptême » et entend promouvoir de nouvelles formes d’amour n’ait pas rencontré les faveurs des autorités à l’époque. Pour pallier cet écart et sans nous attarder sur les variétés diatopiques de l’espagnol, nous avons décidé de nous rapporter aux éditions d’Une saison en enfer publiées dans la péninsule de 1969 à nos jours, en nous concentrant principalement sur les traductions de Gabriel Celaya (1969 et 1972), Juan Francisco Vidal-Jover (1972), Ramón Buenaventura (1982), Carlos Barbáchano (1990), José Antonio Millán Alba (1991), Juan Abeleira (1995), Julia Escobar Moreno (2001) et Mauro Armiño (1998 et 2016)27.

  • 28 Les linguistes hispanophones parlent d’escrituridad et d’escrituralidad.

9L’étude (et la critique) des traductions ne saurait se limiter à un jugement de valeur fondé sur les notions, floues au possible, de « correction » et de « justesse ». Non que les traductions soient exemptes de malentendus, d’impropriétés ou de contresens, et qu’il ne soit légitime de signaler les écarts qu’elles accusent avec le texte « source » ; mais il nous semble plus fécond de nous interroger sur les stratégies qu’elles adoptent en fonction de leur histoire respective et, bien sûr, des impératifs liés à la langue dans laquelle elles s’illustrent. C’est pourquoi notre démarche sera avant tout stylistique et pragmatique, et s’attachera à confronter les choix des traducteurs avec les moyens mis en œuvre par le poète pour produire les effets d’« oralité » qu’il recherche. Il n’est guère possible dans le cadre d’un article et dans un domaine aussi riche que celui de « l’oralité dans l’écriture »28 de prendre en compte l’ensemble des traits constitutifs d’une telle dimension textuelle : c’est pourquoi nous limiterons notre étude à trois composantes, de la plus accessible à la plus complexe : celles du lexique (I), de la (morpho)syntaxe (II) et de la prosodie (III).

  • 29 Ch. Bally, Traité de stylistique française, Genève-Paris, Georg-Klincksieck, 3e éd., 1951, vol. I, (...)
  • 30 André Guyaux cite à ce propos la formule « Suis-je las ! » de Mauvais sang, voir A. Guyaux, Duplici (...)

10I. Selon Bally, « tout le monde sait que la langue parlée a un vocabulaire spécial très abondant, qui vient s’insérer dans celui de la langue commune ; c’est ce vocabulaire qui passe, aux yeux de la plupart des gens, pour la forme la plus caractéristique de l’expression familière »29. Rimbaud fait cependant un usage limité de cette ressource dans ses énoncés les plus « oralisés », lesquels peuvent même, à l’occasion, s’attacher à un niveau de langue recherché30. Dans le contexte d’un discours « sérieux » (la crise de l’individu dans l’Histoire et l’expérience de la poésie vécue en termes de salut), les variations diastratiques (de nature sociale) ont peu de poids dans l’argumentation du narrateur, contrairement aux variations diaphasiques qui peuvent contribuer à renforcer l’expressivité du propos selon la situation de communication. Cette distinction a son importance, parce qu’elle permet de comprendre pourquoi, dans l’écrit « oralisé » de Rimbaud, les formes populaires ou argotiques font défaut. Malgré ces limites, Rimbaud fait usage dès le prologue d’une locution verbale « familière » dont l’élément central, onomatopéique et reporté en italiques dans le texte, participe du caractère oral de la phrase (antéposition du complément temporel, absence de conjonction, exclamation finale) :

  • 31  A. Rimbaud, Une saison en enfer, « Prologue », dans OC, p. 245.

Or, tout dernièrement m’étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j’ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit.31

  • 32 Cf. La Bassinoire, Journal fantaisiste, 7, 24 avril 1869 : « Un jour le dieu Zéphir […] détourna ma (...)
  • 33 Vidal associe curieusement le registre élevé de « postrer » au registre standard de « bufido ».
  • 34 Les seuls à préciser le sens de la locution en note, signalant l’acception « musicale » du terme, a (...)

11Deux options s’offrent aux traducteurs pour rendre le caractère familier de l’expression « faire le/son dernier couac », attestée en français dans le sens de « mourir » au XIXe siècle32, mais sans équivalent en espagnol. Une partie choisit une expression homologue, sous la forme d’un syntagme explicatif : « lanzar mi postrer bufido » (Vidal)33 ; d’une locution verbale populaire : « estirar la pata » (Abeleira) ; d’une collocation : « dar el último petardazo » (Escobar) ; ou privilégient l’acception familière d’un verbe courant : « encontrándome a punto de cascar » (Barbáchano). Mais la plupart des traducteurs conservent l’idéophone « couac », en l’adaptant à la graphie espagnole, avec ou sans exclamation : « dar el último cuac » (Ferrel) ; « creyéndome en mi último cuac » (Celaya) ; « encontrándome a punto de hacer el último ¡cuac! » (Millán); « a punto de soltar el último ¡cuac! » (Buenaventura et Armiño)34. Ils tentent ainsi de dépasser la simple valeur sémantique de l’expression, signalant son caractère oral par le biais d’un calque assez évocateur pour que le lecteur hispanophone puisse en saisir la portée.

12Un traducteur peut aussi forcer le niveau de langue d’une expression orale dans le sens d’une plus grande familiarité, là où le français (et le français de Rimbaud) présentent une forme standard. Soit l’énoncé suivant, dans lequel le pronom tonique détaché est marqueur d’oralité (Mauvais sang, 1) :

  • 35 A. Rimbaud, Mauvais sang, 1, dans OC, p. 247.

L’honnêteté de la mendicité me navre. Les criminels dégoûtent comme des châtrés : moi, je suis intact, et ça m’est égal.35

  • 36 Voir A. Henry, « La fortune de ça en français », dans Id., Études de syntaxe expressive. Ancien fra (...)
  • 37 Un équivalent français pourrait être « ça ne me fait ni chaud ni froid » et en italien « non mi imp (...)

13En français, « ça m’est égal » est peu connoté, si ce n’est par la présence de la forme abrégée « ça », d’origine populaire mais devenue usuelle après le Romantisme36. Seul Celaya et Armiño rendent compte de l’ensemble des traits oraux de l’énoncé : « yo, estoy intacto, y eso me da igual » (Celaya) ; « y yo, yo estoy intacto, y me da lo mismo » (Armiño), alors que la majorité des traducteurs se satisfont d’une formulation standard, diversement ponctuée : « yo estoy intacto; pero me da lo mismo » (Vidal, qui introduit une nuance d’opposition) ; « yo estoy intacto, y me da igual » (Millán) ; « yo estoy entero y me da igual » (Escobar); « yo estoy intacto, y me da lo mismo » (Buenaventura). Quant à Abeleira, il traduit « yo estoy intacto, y me importa un bledo », utilisant une expression imagée nettement familière en espagnol37 : il amplifie la composante diaphasique du message, en cherchant peut-être à accentuer son caractère oral.

14II. Si la question lexicale est somme toute peu significative dans l’écriture orale de Rimbaud, c’est sur le plan de la syntaxe et de ses implications pragmatiques que le mimétisme de la parole vive s’exprime avec le plus de netteté dans Une saison en enfer. La plupart des structures du langage parlé sont semblables dans les langues romanes et l’espagnol ne fait pas exception. Les ruptures de construction, les phrases nominales, les ellipses, les dislocations ne posent guère de problèmes de disposition aux traducteurs, qui respectent généralement l’ossature du discours original. Or, malgré cette apparence extérieure, les marqueurs discursifs appartenant à la sphère de l’oralité ne sont pas toujours saisis et interprétés à leur juste mesure. Trois d’entre eux nous servirons d’exemple dans ces paragraphes de Nuit de l’enfer :

  • 38 A. Rimbaud, Nuit de l’enfer, dans OC, p. 255-256. Nous soulignons.

Les nobles ambitions !
Et c’est encore la vie ! – Si la damnation est éternelle ! Un homme qui veut se mutiler est bien damné, n’est-ce pas ? Je me crois en enfer, donc j’y suis. C’est l’exécution du catéchisme. Je suis esclave de mon baptême. Parents, vous avez fait mon malheur et vous avez fait le vôtre. Pauvre innocent ! L’enfer ne peut attaquer les païens. – C’est la vie encore ! Plus tard, les délices de la damnation seront plus profondes. Un crime, vite, que je tombe au néant, de par la loi humaine.
Tais-toi, mais tais-toi !... C’est la honte, le reproche, ici : Satan qui dit que le feu est ignoble, que ma colère est affreusement sotte. – Assez !... Des erreurs qu’on me souffle, magies, parfums faux, musiques puériles. – Et dire que je tiens la vérité, que je vois la justice : j’ai un jugement sain et arrêté, je suis prêt pour la perfection... Orgueil. – La peau de ma tête se dessèche. Pitié ! Seigneur, j’ai peur. J’ai soif, si soif ! Ah ! l’enfance, l’herbe, la pluie, le lac sur les pierres, le clair de lune quand le clocher sonnait douze... le diable est au clocher, à cette heure. Marie ! Sainte-Vierge !... – Horreur de ma bêtise.38

¡Las nobles ambiciones!
¡Y sigue siendo la vida! – ¡Si la condenación es eterna! Un hombre que quiere mutilarse está bien condenado, ¿no es cierto? Me creo en el infierno, luego estoy en él. Es el cumplimiento del catecismo. Soy esclavo de mi bautismo. Padres, habéis hecho mi desgracia y habéis hecho la vuestra. ¡Pobre inocente! – El infierno no puede atacar a los paganos. – ¡Sigue siendo la vida! Más tarde, las delicias de la condenación serán más profundas. Un crimen, pronto, para que yo caiga en la nada, en virtud de la ley humana.
¡Cállate, pero cállate!... Aquí es la vergüenza, el reproche: Satán diciendo que el fuego es innoble, que mi cólera es horriblemente idiota. – ¡Basta!... Errores que alguien me sopla, magias, falsos perfumes, músicas pueriles. – Y decir que poseo la verdad, que veo la justicia: tengo un criterio sano y decidido, estoy preparado para la perfección... Orgullo. – La piel de mi cabeza se reseca. ¡Piedad! Señor, tengo miedo. ¡Tengo sed, tanta sed! ¡Ah!, la infancia, la hierba, la lluvia, el lago sobre las piedras, el claro de luna cuando el campanario daba las doce... El diablo está en el campanario a esa hora. ¡María! ¡Virgen Santa!... – Horror de mi estupidez. (tr. Armiño)

  • 39 M. Grevisse, Le Bon usage, Gembloux, Duculot, 10e éd. revue, 1975, § 870. Comme on dirait : « vous (...)
  • 40 F. Brunot, La Pensée et la langue, Paris, Masson, 2e éd., 1926, p. 489.

151) « Bien » n’est pas ici un adverbe de quantité, mais « d’approbation »39, renforcé par l’expression « n’est-ce pas », qui demande l’assentiment ; et cette forme d’interrogation, essentiellement associée dans la langue parlée à une tonalité montante, « est celle que l’on emploie spécialement pour se faire confirmer une réponse déjà donnée ou une opinion préconçue »40. Cet adverbe a embarrassé les traducteurs qui, comme Armiño, lui attribuent une valeur quantitative (et de même Celaya, Barbachano) ou qualitative : « un hombre que quiere mutilarse está claramente mutilado [sic, pour condenado], ¿no es cierto? » (Millán) ; « […] está de sobra condenado, ¿no? » (Abeleira) ; [..] está rematadamente condenado, ¿no es así?” (Escobar). Seul Vidal, en supprimant l’adverbe et en utilisant une particule de la langue commune pour solliciter l’assentiment, parvient à restituer les traits stylistiques et prosodiques de cet énoncé fortement oralisé : « un hombre que quiere mutilarse, está condenado, ¿verdad? ».

162) Le gallicisme « c’est » en fonction de présentatif, répété quatre fois dans le texte original, est lui aussi un marqueur discursif courant en français parlé ; le cliché « c’est la vie ! » revivifié par Rimbaud par l’adverbe « encore » et, plus loin, par une inversion, existe aussi en espagnol (« ¡así es la vida! »), mais il n’est pas exploité par les traducteurs, qui le détournent de son sens premier et négligent son origine figée : « ¿Y es aún la vida ? » (Ferrel) ; « ¡Y es aún la vida! » (Celaya); « Y esto, ¡todavía es la vida! » (Vidal); « ¡Y la vida continúa! » (Millán); « ¡Y otra vez la vida! » (Barbáchano); « ¡Y aún persiste la vida! » (Abeleira); « ¡Y la vida sigue! » (Escobar); « ¡Y sigue siendo la vida! » (Buenaventura, Armiño).

  • 41 Ibid., p. 549.

173) En français parlé, la locution « dire que » exprime l’étonnement, l’indignation ou la surprise en rapport à une situation précédente : « Dire que je lui ai parlé il y a un quart d’heure ! »41. Les traducteurs ignorent généralement l’existence de ce tour, qu’ils rendent principalement par un calque privé de toute intentionnalité : « y decir que » (Vidal, Celaya, Buenaventura, Barbáchano, Escobar, Armiño), quand ils n’altèrent pas le sens de la proposition en y introduisant des verbes modaux : « Y saber que poseo la verdad » (Ferrel), « ¡Y poder decir que detento la verdad[!] » (Millán).

*

18Le décalque d’une dislocation ou d’une ellipse, opéré dans le but de reproduire fidèlement les formes de stylisation de l’oral du poète, peut porter le traducteur à inverser les acteurs de l’interlocution :

  • 42 A. Rimbaud, Une saison en enfer, « Prologue », dans OC, p. 245-246.

Ah! J’en ai trop pris : – Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée ! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l’écrivain l’absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.42

a) ¡Ah!, estoy ahíto: – Pero, querido Satanás, te conjuro, ¡una pupila menos irritada!, y en tanto esperas las pequeñas cobardías retrasadas, tú que amas en el escritor la falta de facultades descriptivas o instructivas, arranco estas páginas odiosas de mi carnet de condenado. (Celaya)
b) ¡Ah! Ya aguanté demasiado – Pero, querido Satán, te lo suplico, ¡menos irritación en la pupila! Y mientras llegan las pequeñas cobardías rezagadas, tú que aprecias en el escritor la carencia de facultades descriptivas o instructivas, te arranco unos cuantos asquerosos pliegos de mi cuaderno de condenado. (Buenaventura)
c) ¡Ah! Estoy harto: – ¡Pero, querido Satán, yo te conjuro con una pupila menos irritada! Y mientras esperas las pequeñas cobardías retrasadas, tú que amas la ausencia de facultades descriptivas o instructivas, te aparto estas repulsivas páginas de mi carnet de condenado. (Barbáchano)

  • 43 Elle « indique en général qu’un événement se situe dans l’espace de temps qui sépare le moment prés (...)
  • 44 Quelques commentateurs identifient ces « lâchetés » en retard avec les poèmes en prose des Illumina (...)

191) Le gérondif « en attendant » dépend du verbe principal postposé : « en attendant les lâchetés en retard, je vous détache les feuillets de mon carnet ». Il s’agit d’une locution figée, qui exprime en français une action encore à venir43 : ce ne sont ni le sujet ni le destinataire qui « attendent », mais le narrateur qui se réserve de produire des « lâchetés » encore en souffrance, quels que soient leur nature et les raisons de son retard44. Le discours direct et l’adresse à Satan ont probablement induit les traducteurs à faire du diable le récepteur de ces « futures lâchetés », – d’où les formes verbales à la deuxième personne de Celaya et Barbáchano, – ou même à créditer l’attente au narrateur lui-même, d’où la première personne dans la version de Millán : « Y mientras aguardo las últimas pequeñas cobardías ». Les formulations temporelles et a-personnelles adoptées par Escobar, Abeleira et Armiño (« a la espera de ») et Buenaventura (« y mientras llegan ») nous semblent en revanche refléter au mieux la nature de la locution française.

202) Les problèmes de l’interlocution et de la grammaticalité des énoncés se posent de façon aiguë en traduction lorsque le texte source présente des ruptures de construction qui, tout en étant propres au discours oral, n’ont pas le même degré d’acceptabilité d’une langue à l’autre. L’anacoluthe qui configure l’apostrophe au diable (« cher Satan… vous qui aimez... je vous détache ») présente deux sujets distincts dans une relation de cause à effet, sans que celle-ci soit formellement exprimée (« comme vous aimez…, alors je vous détache… »). Du vocatif, Rimbaud passe au datif d’attribution sans crier gare, dans un mouvement de pensée extrêmement ramassé. L’espagnol répugne à associer deux propositions de cette nature, même dans un cas comme le nôtre, proche du parlé, parce que, dans cette langue, le complément d’objet direct rapporté à des personnes exige la présence d’une préposition (« j’ai rencontré Marie / he encontrado a María »), y compris dans la dislocation (« Marie, je l’ai rencontrée hier / a María la encontré ayer »). C’est pourquoi un calque de la construction française qui reste fidèle au système de la dislocation est difficilement acceptable en espagnol : « tú que amas… arranco » (Celaya) ; « tú que apprecias/amas… te arranco/aparto » (Buenaventura, Barbáchano). Les traducteurs n’ont d’autre ressource que d’introduire une préposition devant le pronom sujet de l’original, modifiant sa fonction et sa forme, mais renonçant de ce fait à l’anacoluthe et parfois même à la dislocation :

a) ¡ Y mientras aguardo las últimas pequeñas cobardías, separo para ti, que amas en el escritor la ausencia de facultades descriptivas o instructivas, algunas de estas repugnantes hojas de mi carnet de condenado. (Millán)
b) A la espera de esas pequeñas bajezas que no acaban de llegar, arranco, para ud. que ama en el escritor la ausencia de facultades descriptivas o instructivas, unas cuantas hojas repelentes de mi libreta de condenado. (Abeleira)
c) Y a la espera de algunas cobardías retrasadas, vayan para ti, a quien tanto le gusta que el escritor no tenga facultades descriptivas o instructivas, estas pocas y repugnantes hojas de mi cuaderno de condenado (Escobar)
d) Y a la espera de esas pequeñas bajezas por llegar, para ti que amas en el escritor la ausencia de facultades descriptivas o instructivas, arranco estas pocas hojas repulsivas de mi cuaderno de condenado (Armiño).

  • 45 I. Serça, Esthétique de la ponctuation, Paris, Gallimard, 2012, p. 122.
  • 46 « Je comprends, et ne sachant m’expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire. », A. Rimbau (...)

21III. La surabondance de la ponctuation expressive dans Une saison en enfer (points d’exclamation, d’interrogation, de suspension, guillemets, tirets, parenthèses, mais aussi italiques, majuscules) ne peut que solliciter l’attention du lecteur. Au-delà de son essentielle fonction phrastique et grammaticale, elle appartient autant à la sphère affective du discours qu’à sa dimension « orale » : elle est syntaxique autant que mélodique, et, du point de vue qui est le nôtre, pallie l’absence de la voix, donne du rythme à l’intonation, du tempo à l’accentuation. Comme nous l’avons souligné, le texte d’Une saison en enfer n’est pas la « transcription » d’un message parlé. Et comme dans toute œuvre en prose, la ponctuation « ne saurait parler qu’à l’oreille interne du lecteur »45, lui laissant le soin et la capacité d’assigner tel mouvement de l’âme à tel signe en fonction de l’intonation qu’il prêtera à la marche du discours. C’est que, au-delà de son rôle prosodique évident, la ponctuation exubérante de la Saison forme aussi un système sémique de tout premier plan dont la charge affective et émotive supplée dans bien des cas à l’absence (ou au refus) de l’« explication »46 :

  • 47 Id., Délires I, dans OC, p. 259.

Pardon, divin Seigneur, pardon ! Ah ! pardon ! Que de larmes ! Et que de larmes encore plus tard, j’espère !
Plus tard, je connaîtrai le divin Époux ! Je suis née soumise à Lui. — L’autre peut me battre maintenant !
À présent, je suis au fond du monde ! Ô mes amies !... non, pas mes amies... Jamais délires ni tortures semblables... Est-ce bête !
Ah ! je souffre, je crie. Je souffre vraiment.47

  • 48 Voir, plus haut, un semblable decrescendo : « Hélas ! L’Évangile a passé ! L’Évangile ! L’Évangile. (...)

22Les nombreux points d’exclamation qui zèbrent cette supplique de la « vierge folle » se raréfient au fur et à mesure que retombent l’exaltation et l’égarement de la protagoniste. Leur disparition dans le dernier alinéa (interjection exceptée), alors que le sentiment et l’expression de la douleur sont à leur comble, ralentit le rythme du discours, en bride l’impétuosité, en baisse le ton. L’intonation descendante et les simples points donnent paradoxalement plus de force à l’énoncé, objectivant la souffrance, la « vraie » souffrance48.

23Rimbaud attribue à la ponctuation un rôle important sur le plan de l’argumentation. En contrevenant à la norme qui veut, par exemple, qu’une phrase interrogative soit suivie d’un point d’interrogation, il fait glisser un questionnement initial dans le champ de l’assertion ou de l’exclamation, modifiant la modalité de la phrase dans le cours même de son développement :

  • 49 Ibid., 2, dans OC, p. 248.
  • 50 Ibid., 3, dans OC, p. 248.
  • 51 Id., Nuit de l’enfer, dans OC, p. 255.

a) Qu’étais-je au siècle dernier : je ne me retrouve qu’aujourd’hui.49
b) L’Esprit est proche, pourquoi Christ ne m’aide-t-il pas, en donnant à mon âme noblesse et liberté.50
c) Puis-je décrire la vision, l’air de l’enfer ne souffre pas les hymnes !51

24Parce qu’ils s’astreignent à respecter leur propre code graphique, les traducteurs espagnols renoncent à conserver cette anomalie, pourtant essentielle du point de vue tonal, rhétorique et interprétatif :

a) ¿Qué era yo en el último siglo?: no me encuentro sino en el hoy.
b) El Espiritú està próximo. ¿Por qué Cristo no me auxilia dando a mi alma nobleza y libertad?
c) ¿Cómo describir la visión? ¡El aire del infierno no soporta los himnos! (Millán)

25Nous savons qu’en espagnol, les phrases interrogatives et exclamatives sont doublement ponctuées : un signe « entrant » « annonce » la nature de la phrase, qui se conclut sur un signe « fermant ». Les traducteurs sont donc contraints de donner clairement sa valeur à tel membre de phrase et de délimiter l’aire de l’énoncé sur laquelle porte la modalité. Dans nos exemples, le traducteur s’est fondé sur la présence des marqueurs interrogatifs de la phrase française (pronom ou adverbe interrogatif, inversion du sujet), mais il en a neutralisé la finesse, clarifiant un énoncé ambigu dans lequel se manifestaient avant tout l’incertitude et les hésitations du narrateur.

  • 52 L’inversion du sujet se fait « dans les propositions exclamatives non introduites par un adverbe ou (...)

26En français, l’exclamation peut porter sur un mot, un syntagme ou une phrase entière, sans que le signe de ponctuation permette de baliser précisément les limites de son amplitude. Elle peut aussi se justifier par la présence d’une expression avec laquelle elle fait corps, étant alors la simple trace d’un cliché expressif. Ainsi, pour exprimer sa méprise ou son désappointement vis-à-vis de son propre discours, le narrateur de Mauvais sang utilise une proposition exclamative propre au français standard52 :

  • 53 Id., Mauvais sang, 4, dans OC, p. 249.

Ô mon abnégation, ô ma charité merveilleuse ! Ici-bas, pourtant !
De profundis Domine, suis-je bête !53

  • 54 Elle-même potentiellement exclamative : « De profundis clamavi ad te, Domine ; Domine, exaudi vocem (...)

27L’espagnol, qui n’exprime pas le pronom personnel sujet, doit recourir à une tournure propre pour rendre la formule rimbaldienne : « De profundis Domine, ¡si seré bestia! » (Vidal) ; « De profundis Domine, ¡seré idiota! » (Celaya); « De profundis Domine, ¡soy estúpido!» (Barbáchano). Mais en l’isolant de l’expression latine dont elle dépend en partie54 et en la cloisonnant à l’intérieur de la double ponctuation, les traducteurs fixent la portée de l’exclamative et en modifient la valeur intensive. C’est qu’à une proposition exclamative correspond aussi un acte de parole. Dans Délires I, la « vierge folle » oppose sa soumission à Dieu à son asservissement matrimonial. Entièrement sous la coupe de son « époux infernal », elle se donne à lui sans limite, lui laissant même le loisir de la brutaliser :

  • 55 A. Rimbaud, Délires I, dans OC, p. 259.

Plus tard, je connaîtrai le divin Époux ! Je suis née soumise à Lui. – L’autre peut me battre maintenant !55

28Rimbaud introduit la phrase exclamative finale par un tiret pour indiquer un changement de ton après une pause ; il exprime l’état de disponibilité de la protagoniste par un verbe modal, et semble donner à l’exclamation un rôle tonal traduisant impuissance ou fatalité. Or la double ponctuation espagnole donne à l’énoncé une charge émotive et expressive proche de la volition :

a) Más tarde, ¡conoceré al divino Esposo! He nacido sometida a Él. – ¡El otro puede apalearme ahora! (Celaya)
b) ¡Más tarde, conoceré al divino Esposo! Nací sometida a Él. – ¡El otro puede golpearme ahora! (Armiño)

29Volition qui peut être renforcée par l’adjonction d’un adverbe :

c) Más adelante ¡conoceré al divino Esposo! Nací sometida a Él. – ¡Ya puede pegarme el otro ahora! (Buenaventura)

30De ce point de vue, les solutions adoptées par Abeleira et Escobar sont nettement volitives, transformant la possibilité en désir, exaltant le penchant masochiste de la « vierge folle » :

d) ¡Más Adelante conoceré al divino Esposo! He nacido sometida a Él. ¡Que me pegue el otro ahora! (Escobar)
e) Después, ¡cuando al fin conozca al divino Esposo! Nací sometida a Él. – ¡Ya puede el otro zurrarme ahora cuanto quiera! (Abeleira)

31Enfin, en supprimant l’exclamation, Ferrel et Vidal nous semblent rendre mieux l’intentionnalité de la phrase originale :

f) Más tarde conoceré al divino Esposo. Nací sometida a él. – El otro puede golpearme ahora. (Ferrel)
g) ¡Más tarde conoceré al divino Esposo! Nací a Él sometida. El otro, entre tanto, puede pegarme. (Vidal)

  • 56 D. Marín Hernández, art. cit.
  • 57 A. Rimbaud, « Lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871 », dans OC, p. 346.
  • 58 Id., Une saison en enfer, « Prologue », dans OC, p. 246.
  • 59 « Parler ou se taire, ce dilemme ne l’empêche pas d’écrire », M. Jutrin, « Parole et silence dans U (...)

32En retraçant l’histoire des traductions espagnoles de l’œuvre de Rimbaud, David Marín Hernández56 remarquait combien la tendance à « expliquer » le texte original et à « démêler » l’écheveau des instances narratives a longtemps prévalu sur la nécessité de lui conserver sa plurivocité et son aspect fragmentaire, en un mot sa langue propre. Une langue que Rimbaud, dès 1871, s’est acharné à « trouver »57 et dont les étapes sont illustrées dans le chapitre central de la Saison en enfer, l’« alchimie du verbe » désignant en substance la somme de ses procédés. Or le narrateur de la Saison ne craint pas de dédier son livre au diable précisément parce que celui-ci « aim[e] dans l’écrivain l’absence des facultés descriptives ou instructives »58 : il définit ainsi par la négative le genre et la visée de son œuvre, laissant entendre à son interlocuteur et par la même occasion à son lecteur qu’ils ne doivent pas s’attendre à lire un texte traditionnel. Pour se dégager de l’emprise de la « Littérature » et de ses modèles, Rimbaud met au point un langage neuf fondé sur la subjectivité de la parole, apte à reproduire les plus infinis soubresauts de la pensée. Il s’attache ainsi à verbaliser, dans l’écriture, les traits de la langue parlée, y compris ceux qui lui sont fondamentalement intrinsèques comme l’intonation, les pauses ou les silences59. Aussi l’oralité dans la Saison constitue-t-elle, pour un traducteur, une mise à l’épreuve de haut niveau, car elle sollicite autant ses compétences linguistiques et stylistiques que ses capacités « musicales » : s’il ne doit négliger aucun des signes discursifs, argumentatifs et affectifs qui la constitue, il doit aussi être en mesure de « faire parler » son texte.

  • 60 J. Rivière, Rimbaud [1914], cit., p. 176.

33Le grand nombre des traductions espagnoles d’Une saison en enfer a certainement permis aux traducteurs les plus récents de bénéficier des travaux de leurs prédécesseurs et de la lente et constante stratification du texte original dans leur langue. Ils ont ainsi progressivement accepté de « déstandardiser » la langue là où Rimbaud s’écarte de la norme, signalant au lecteur la présence, en français, d’une forme ou d’un tour extraordinaire. Si la perfection est un vain mot, la perfectibilité appartient à l’horizon d’attente de tout traducteur. Loin de vouloir suggérer quelque amélioration que ce soit (les traductions récentes sont d’un très bon niveau), nous avons cherché à illustrer quelques-uns des traits de la poétique de Rimbaud qui nous ont semblé productifs et dignes d’être retenus dans une traduction « rythmique » au sens large où l’entendait Henri Meschonnic, d’autant plus justifiée ici qu’elle répond à la lettre du texte original. Jacques Rivière disait pour sa part « subir l’obsession de Rimbaud » dans la mesure où « parfois le rythme [de la phrase] se présente à notre mémoire bien avant que nous retrouvions les mots qui la composent »60. Puissent lecteurs et traducteurs la subir autant que lui.

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Annexe

Les traductions espagnoles d’Une saison en enfer

Temporada de infierno, tr. J. Ferrel, avec une note de L. Cardoza y Aragón, dans Taller, 4, juillet 1939, p. 3-37, puis Una temporada en el infierno, version en espagnol de J. Farrel [sic], México D. F., Ed. Séneca, « El Clavo ardiendo », 1942 (rééd. México D. F., Ediciones Coyoacán, 1994-1995).

Una temporada en el infierno, tr. F. Tuero, San Sebastián, Grafico Editoras, « Norte », 1948.

Una temporada en el infierno, tr. P. Simón, Buenos Aires, Editorial Poseidón, « Los Raros », 1951.

Una temporada en el infierno, version castillane de O. Girondo et E. Molina, Buenos Aires, Compañia Fabril General Editorial, 1959 (rééd. Buenos Aires, Edicom, 1970 ; Santiago, Tajamar Editores, 2000 ; Buenos Aires, Editorial Argonauta, « Insurrexit », 2013).

Una temporada en el infierno, prologue et traduction de N. Lamarque, illustration de M. Mazzarella, Buenos Aires, Guillermo Kraft, 1959.

Iluminaciones, Una temporada en el infierno, tr. R. G. Aguirre, Buenos Aires, Centro Editor de América Latina, 1969.

Una temporada en el infierno, introduction et traduction de G. Celaya, prologue de J. Rivière, Madrid, Alberto Corazón Editor, « Visor de poesía », 1969 (puis Madrid, Visor Libros, « Visor de poesía », 1972 ; rééd. Segovia, La Tía Eva, 2015).

Obras. Poesía y prosa, version de E. Azcoaga, Madrid, Edaf, 1970.

Obra completa. Prosa y poesía, tr. J. F. Vidal-Jover, Sant Cugat del Vallés, Ediciones 29, 1972 (puis Prosas principales, ivi, 2000).

Una temporada en el infierno, tr. M. A. Campos, México, Premiá Ediciones, 1979.

Una temporada en el infierno, éd. R. Buenaventura, Madrid, Hiperión, « Poesía », 1982 (puis Madrid, Mondadori, 1991; URL : <http://rimbaud.rbuenaventura.com/​>).

Una temporada en el infierno, Iluminaciones, Carta del vidente, tr. C. J. i Solsona, Barcelona, Taifa, 1985.

Una temporada en el infierno, éd. C. Barbáchano, Barcelona, Montesinos, 1990.

Prosa completa, éd. J. A. Millán Alba, Madrid, Cátedra, « Letras universales », 1991.

Una temporada en el infierno, Iluminaciones, version du texte de J. Martínez, Madrid, Libros de autor, « La biblioteca de cristal », 1994.

Una temporada en el infierno, traduction et notes de J. Abeleira, Madrid, Hiperión, « Poesía », 1995.

Una temporada en el infierno, Iluminaciones, éd. et tr. M. Armiño, Madrid, Espasa Calpe, « Austral », 1998 (puis Obra completa, éd. M. Armiño, Girona, Atalanta, 2016).

Una temporada en el infierno, Iluminaciones, version espagnole et présentation de J. Escobar Moreno, Madrid, Alianza editorial, 2001.

Una temporada en el infierno. Iluminaciones. Carta del vidente, tr. M. A. Campos, Bogotá, Común Presencia Editores, « Los Conjurados », 2005.

Una temporada en el infierno. Cartas del vidente, tr. J. Segovia, Vigo, Maldoror edizione, 2008.

Una temporada en el infierno, traduction, prologue et notes de M. Benavides, Lima, Biblioteca Abraham Valdelomar, « La Fuente escondida », 2012.

Una temporada en el infierno, version de L. Rossi y L. Miguel, Sevilla, Cangrejo Pistolero Ediciones, 2013.

Una temporada en el infierno, tr. F. J. Cortés García, Almería, Hogarth Press, 2014.

Una temporada en el infierno, tr. E. Fuentes, Madrid, Verbum, « Poesía », 2018.

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Notes

1 Guillemets non refermés, par inadvertance du typographe ou de l’auteur, on ne sait.

2 « Écoutez !.... », « Tais-toi, mais tais-toi !... », « j’ai un oreiller sur la bouche, elles ne m’entendent pas », A. Rimbaud, Nuit de l’enfer, dans Id., Œuvres complètes, éd. A. Guyaux avec la collaboration d’A. Cervoni, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2009, p. 256, 255 et 256 (dorénavant, OC).

3 « Écoutons la confession d’un compagnon d’enfer », Id., Délires I, dans OC, p. 259.

4 Les traces du français hypothétiquement parlé par Rimbaud apparaissent en grande partie dans sa correspondance et dans celle de ses amis, et dans quelques poèmes de Verlaine (les Vieux Coppées) ; caricaturales, elles se concentrent principalement sur l’usage de l’argot et sur l’accent « provincial » du locuteur. Voir J.-P. Chambon, « Quelques remarques sur la prononciation de Rimbaud d’après les Coppées IV et IX de Verlaine », dans Circeto, 1, 1983, p. 6-12 et Id., « Pour un inventaire des particularismes lexicaux dans l’œuvre et la correspondance de Rimbaud », dans A. Guyaux (dir.), Rimbaud 1891-1991, Paris, Champion, 1994, p. 125-153.

5 H. Wetzel parle d’un sujet « décentré » et de la « désagrégation du sujet parlant », voir H. Wetzel, « Les “points d’ironieˮ dans Une saison en enfer », dans A. Guyaux (dir.), Dix études sur Une saison en enfer, Neuchâtel, À la Baconnière, « Langages », 1994, p. 117-126, p. 121.

6 « Ce qui rend le récit […] unique en son genre et extrêmement difficile à cerner », écrit Yoshikazu Nakaji, « c’est que son destinataire flotte sans cesse entre deux possibilités, les lecteurs-auditeurs virtuels et le narrateur lui-même », dans Y. Nakaji, Combat spirituel ou immense dérision ? Essai d’analyse textuelle d’Une saison en enfer, préface de M. Décaudin, Paris, Corti, 1987, p. 80.

7 Danielle Bandelier parle de style « mixte » par lequel Rimbaud « passe de la familiarité du style oral à une langue littéraire élevée » dans D. Bandelier, Se dire et se taire : l’écriture d’Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud, Neuchâtel, À la Baconnière, « Langages », 1988, p. 59.

8 Voir J. Rivière, Rimbaud, dossier 1905-1925 [1912], éd. R. Lefèvre, Paris, Gallimard, 1977, p. 173-179 ; D. Bandelier, op. cit., p. 50-52 et p. 61 ; Y. Nakaji, « Ambivalence et rapidité dans l’écriture d’Une saison en enfer », dans A. Guyaux (dir.), Dix études sur Une saison en enfer, cit., p. 55-66 ; A. Cervoni, « L’atelier d’Une saison en enfer. Étude des brouillons », dans A. Guyaux (dir.), Rimbaud. Des Poésies à la Saison, Paris, Classiques Garnier, « Rencontres », 2009, p. 213-231.

9 Voir en particulier Y. Nakaji, Combat spirituel ou immense dérision ?, cit., p. 83-89 ; D. Bandelier, op. cit., p. 47-50 et H. Wetzel, art. cit., p. 121-124.

10 M. Murat, L’Art de Rimbaud, nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Corti, « Les Essais », 2013, p. 430.

11 Tous traits constitutifs de l’oral courant, y compris dans la langue d’aujourd’hui, voir F. Gadet, Le Français ordinaire, Paris, Armand Colin, 1996 et C. Blanche-Benveniste, Approches de la langue parlée en français, Paris, Ophrys, 1997.

12 A. Rimbaud, Mauvais sang, 5, dans OC, p. 251.

13 Id., Mauvais sang, 8, dans OC, p. 252-253.

14 J.-L. Steinmetz, « Passage des voix. Éléments de diction pour le “Prologue” et Mauvais sang », dans Y. Frémy (dir.), « Je m’évade ! Je m’explique ». Résistances d’Une saison en enfer, Paris, Classiques Garnier, « Études rimbaldiennes », 2011, p. 47-63, p. 47.

15 A. Rimbaud, Mauvais sang, 3, dans OC, p. 249.

16 « Est-ce jubilation ou déploration, cette annonce que “L’Évangile a passé !ˮ ? Et cette modulation qui retombe sur le mot, à la troisième fois, que veut-elle dire ? Quelque chose s’élève puis s’abaisse ; au centre l’interrogation sans marque ponctuative fait comme un creux de la vague : la courbe qui soulève ce paragraphe est sans doute ce qui nous parle le mieux, ce qui est le plus sûr », M. Murat, op. cit., p. 435.

17 J. A. Millán Alba, « Rimbaud en Espagne », dans Rimbaud vivant, 30, numéro spécial du Centenaire, 1991, p. 42-46, p. 42. L’auteur avait publié cette année-là sa propre traduction des textes en prose de Rimbaud dans A. Rimbaud, Prosa completa, ed. J. A. Millán, Alba et Madrid, Cátedra, « Letras universales », 1991.

18 Voir R. Ferreres, Verlaine y los modernistas españoles, Madrid, Gredos, 1975 et T. Saéz Hermosilla, « Verlaine en la lengua castellana », dans J. L. Chamosa, J.-C. Santoyo, T. Guzmán González et R. Rabadán (dir.), Fidus interpres, Actas de las primeras jornadas nacionales de historia de la traducción, León, Universidad de León, 1989, vol. II, p. 42-51.

19 D. Marín Hernández, « La construcción del sentido en el proceso de traducción. Arthur Rimbaud y sus traductores », dans J. Zaro Vera et F. Ruiz Noguera (dir.), Retraducir una nueva mirada. La retraducción de textos literarios y audiovisuales, Málaga, Miguel Gómez, 2001, p. 161-178, p. 163.

20 « Pésima ha sido la fortuna de Rimbaud en España. […]. El autor de El barco ebrio sigue siendo, por estas nuestras fatuidades, un poeta poco y mal conocido, a pesar de las frecuentes y flojas traducciones de sus obras », C. Barbáchano, « Rimbaud en España », dans Los Cuadernos del Norte, 30, 1985, p. 97-98, p. 97.

21 Portal digital de Historia de la traducción en España, consulté le 20 mars 2021, URL : <http://phte.upf.edu/dhte/frances/rimbaud-arthur/>. Voir C. Barbáchano, « Rimbaud en España. Traducciones en revistas y libros (1907-2001) », dans M.-F. Borot et A. Piquer (éd.), Confluencias poéticas. Estética, recepción y traducción de la poesía francesa contemporánea, Barcelona, PPU, 2004, p. 25-40, repris dans Dos cuestiones de literatura comparada: traducción y poesía, exilo y traducción, Madrid, Cátedra, « Crítica y estudios literarios », 2011, p. 164-177.

22 Voir M. Ángel Lama, « Enrique Díez-Canedo y la poesia extranjera », dans Cauce, 22-23, 1999-2000, p. 191-228. Díez-Canedo possédait vraisemblablement l’édition des Œuvres de Jean-Arthur Rimbaud parue au Mercure de France en 1898 ; il publiera une nouvelle fois ses traductions de Le Dormeur du val, Le Buffet, Voyelles et Chanson de la plus haute tour dans Cosmópolis, 6, 1919, p. 295-297 et, bien des années plus tard, dans son anthologie La poesía francesa del romanticismo al superrealismo, Buenos Aires, Losada, 1946.

23 Sous le titre, abandonné aujourd’hui, de Una estacíon en el infierno, de Silva omet la dernière partie en prose du chapitre, y compris les vers de « Elle est retrouvée !... », J. C. de Silva, Una estacíon en el infierno, dans Grecia, XLIX, 15 de settiembre de 1920, p. 4-6.

24 Sur Taller, dont Octavio Paz fut un des fondateurs, voir la notice de X. García dans l’Enciclopedia de la literatura en México, consulté le 21 mars 2021, URL : <http://www.elem.mx/institucion/datos/2908>.

25 Reprise en volume en 1942, México D. F., ed. Seneca, « El Clavo Ardiendo ».

26 J. F. Ruiz Casanova, Dos cuestiones de literatura comparada, cit., p. 173.

27 Voir en annexe la bibliographie détaillée des traductions espagnoles d’Une saison en enfer.

28 Les linguistes hispanophones parlent d’escrituridad et d’escrituralidad.

29 Ch. Bally, Traité de stylistique française, Genève-Paris, Georg-Klincksieck, 3e éd., 1951, vol. I, p. 302.

30 André Guyaux cite à ce propos la formule « Suis-je las ! » de Mauvais sang, voir A. Guyaux, Duplicités de Rimbaud, Paris-Genève, Champion-Slatkine, 1991, p. 23.

31  A. Rimbaud, Une saison en enfer, « Prologue », dans OC, p. 245.

32 Cf. La Bassinoire, Journal fantaisiste, 7, 24 avril 1869 : « Un jour le dieu Zéphir […] détourna malicieusement le lourd jeton lancé par Apollon et le poussa contre l’occiput d’Hyacinthe qui du coup fit son dernier couac ». Dans la lexicographie du XIXe siècle, « couac » est enregistré comme « onomatopée burlesque qui se dit pour exprimer les fautes que font avec les instruments à anche ou à bocal les débutants qui n’ont pas d’embouchure » (Littré, « faire des couac »).

33 Vidal associe curieusement le registre élevé de « postrer » au registre standard de « bufido ».

34 Les seuls à préciser le sens de la locution en note, signalant l’acception « musicale » du terme, associée selon eux à l’exercice de la poésie (Voir P. Roque Ferrer, « Alquimias del verbo. Une saison en enfer en sus traducciones », dans Actas de las XI Jornadas Pedagógicas sobre Enseñanza del Francés en España, Bellaterra, ICE de la Universitat Autònoma de Barcelona, 1988, p. 79-85, p. 81). Nous remercions Xavier Blanco Escoda de nous avoir communiqué cet article.

35 A. Rimbaud, Mauvais sang, 1, dans OC, p. 247.

36 Voir A. Henry, « La fortune de ça en français », dans Id., Études de syntaxe expressive. Ancien français et français moderne, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2e éd. revue et augmentée, 1977, p. 81-82.

37 Un équivalent français pourrait être « ça ne me fait ni chaud ni froid » et en italien « non mi importa un fico secco ».

38 A. Rimbaud, Nuit de l’enfer, dans OC, p. 255-256. Nous soulignons.

39 M. Grevisse, Le Bon usage, Gembloux, Duculot, 10e éd. revue, 1975, § 870. Comme on dirait : « vous êtes bien M. Un tel, n’est-ce pas ? ».

40 F. Brunot, La Pensée et la langue, Paris, Masson, 2e éd., 1926, p. 489.

41 Ibid., p. 549.

42 A. Rimbaud, Une saison en enfer, « Prologue », dans OC, p. 245-246.

43 Elle « indique en général qu’un événement se situe dans l’espace de temps qui sépare le moment présent, du moment à venir suggéré dans le contexte » (TLF).

44 Quelques commentateurs identifient ces « lâchetés » en retard avec les poèmes en prose des Illuminations, dont la composition serait en cours en 1873 (à ce propos voir A. Thisse, Rimbaud devant Dieu, Paris, Corti, 1975, p. 98), ou avec des « poèmes promis par Rimbaud à Verlaine » (voir A. Rimbaud, Œuvres, éd. S. Bernard, Paris, Classiques Garnier, 1960, p. 457).

45 I. Serça, Esthétique de la ponctuation, Paris, Gallimard, 2012, p. 122.

46 « Je comprends, et ne sachant m’expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire. », A. Rimbaud, Mauvais sang, 2, dans OC, p. 248.

47 Id., Délires I, dans OC, p. 259.

48 Voir, plus haut, un semblable decrescendo : « Hélas ! L’Évangile a passé ! L’Évangile ! L’Évangile. », Id., Mauvais sang, 3, dans OC, p. 249.

49 Ibid., 2, dans OC, p. 248.

50 Ibid., 3, dans OC, p. 248.

51 Id., Nuit de l’enfer, dans OC, p. 255.

52 L’inversion du sujet se fait « dans les propositions exclamatives non introduites par un adverbe ou par un adjectif exclamatif, si le sujet est un pronom personnel », M. Grevisse, Le Bon usage, cit., § 186, rem. 5. Cf. A. Rimbaud, Délires I, dans OC, p. 259 : « À présent, je suis au fond du monde ! Ô mes amies !... non, pas mes amies... Jamais délires ni tortures semblables... Est-ce bête ! ».

53 Id., Mauvais sang, 4, dans OC, p. 249.

54 Elle-même potentiellement exclamative : « De profundis clamavi ad te, Domine ; Domine, exaudi vocem meam [!] » (Ps. 129).

55 A. Rimbaud, Délires I, dans OC, p. 259.

56 D. Marín Hernández, art. cit.

57 A. Rimbaud, « Lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871 », dans OC, p. 346.

58 Id., Une saison en enfer, « Prologue », dans OC, p. 246.

59 « Parler ou se taire, ce dilemme ne l’empêche pas d’écrire », M. Jutrin, « Parole et silence dans Une saison en enfer. L’expérience du “moi diviséˮ » dans Arthur Rimbaud 3, La Revue des lettres modernes, 445-449, 1976, p. 7-23, p. 14.

60 J. Rivière, Rimbaud [1914], cit., p. 176.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nieves Arribas et Olivier Bivort, « Les traductions espagnoles d’Une saison en enfer à l’épreuve de l’oralité »Revue italienne d’études françaises [En ligne], 11 | 2021, mis en ligne le 15 novembre 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/rief/7510 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rief.7510

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Nieves Arribas

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