Navigation – Plan du site

AccueilNuméros90RecensionsRoger Matthews & John Curtis (éd....

Recensions

Roger Matthews & John Curtis (éd.), Proceedings of the 7th International Congress on the Archaeology of the Ancient Near East, 12-16 April 2010, the British Museum and UCL, London

Jean-Louis Huot
p. 492-495
Référence(s) :

Roger Matthews & John Curtis (éd.), Proceedings of the 7th International Congress on the Archaeology of the Ancient Near East, 12-16 April 2010, the British Museum and UCL, London, Harrassowitz, Wiesbaden, 2012, 3 vol. : 1. Mega-Cities & Mega-Sites, The Archaeology of Consumption & Disposal, Landscape, Transport & Communication (738 p.) ; 2. Ancient & Modern Issues in Cultural Heritage, Colour & Light in Architecture, Art & Material Culture, Islamic Archaeology (727 p. et 1 cd) ; 3. Fieldwork & Recent Research, Posters (717 p.), ISBN : 978-3-447-06685-3.

Texte intégral

1L’arrivée sur la table du recenseur des trois volumes de la publication (rapide) par les soins des éditions Harrassowitz, des Actes du 7e ICAANE tenu à Londres du 12 au 16 avril 2010, risque de susciter un certain effroi : en tout, 2 182 p., 129 articles. On n’attendra donc ici ni la liste des sujets abordés, ni celle des auteurs, encore moins un « résumé» de l’ensemble, mais plutôt quelques considérations sur une entreprise qui a, au bout de bientôt 12 ou 13 ans, atteint une ampleur indéniable, mais qui soulève quelques questions.

2Je n’ai, pour des raisons diverses, jamais participé à un ICAANE (à l’exception du premier, à Rome en 1998) et je n’en ai pris connaissance que par la lecture assidue des comptes rendus des volumes des actes publiés, toujours rapidement, mais de plus en plus gros (on attend toujours cependant les actes de Copenhague 2000 et Paris 2002). Le premier avantage de ces publications impressionnantes est évident. Elles fournissent une vue générale de ce qui se fouille, ce qui se discute ou ce qui se conteste, sur une aire à géométrie variable. Que recouvre exactement ce Near East ? Le Proche- (pour qui ?) Orient connaît, selon les dates, des lacunes ou des extensions différentes. Et les époques concernées sont énormes, du Paléolithique au xve s. apr. J.-C., voire, parfois, jusqu’à l’époque contemporaine. Evidemment, cela concerne donc de très nombreux collègues ! Mais rassurons-nous. Nous n’atteignons pas encore les chiffres impressionnants des congrès internationaux de médecine.

3Certains collègues « participants » me disent qu’il faut y aller (y être vu ?) mais que l’importance réside (comme dans tout colloque) dans les rencontres, les échanges informels, les hasards, beaucoup plus que dans l’intérêt des communications. Je veux bien le croire. Quand verra-t-on enfin un congrès international sans programme ni communications ? Mais il faut bien des prétextes.

4Ce sont donc justement ces prétextes qui sont le sujet de ces trois épais volumes. On constatera d’abord, mais c’est devenu anecdotique, la disparition de l’usage de la langue française, ce qui ne fait que refléter l’air du temps. Si, à Rome en 1998, on relevait encore la présence d’une vingtaine d’articles en langue française (sur un total de 124), on voit qu’en 2010, 2 seulement sur 129 articles ont recours à ce moyen d’expression. Tout le reste, sauf exception, est en anglais. Sur ce point la recherche archéologique rejoint (enfin) la pratique des sciences dites « dures » (y compris la médecine) qui publient exclusivement en anglais depuis plus d’un demi-siècle. On ne reviendra pas « en arrière » sur ce plan, et le sabir de l’anglais international permet à tous de s’exprimer et de se comprendre. On me dit que le CNRS français, après des années de circulaires implorant, ordonnant, conseillant, l’emploi du français dans les rencontres internationales, supplie aujourd’hui nos collègues d’écrire en anglais. Tout arrive.

5Les articles réunis, sauf rares exceptions, sont extrêmement brefs. Ce sont des « résumés » (d’une recherche, d’un problème, d’un projet) plutôt que des exposés fournis qui permettraient une utilisation un peu poussée. Ce sont, en quelque sorte, des « annonces ». C’est donc un panorama de la recherche en cours qui est proposé, beaucoup plus qu’un instrument de travail. La conséquence de ce choix est la pauvreté de l’illustration : les mauvaises photographies en n/b, les cartes illisibles, les schémas squelettiques abondent. Même les tableaux, camemberts, graphiques ou autres présentations « abstraites » qui pourraient échapper, par nature, à cette médiocrité, sont imprimés de telle façon qu’ils sont très souvent inutilisables. On notera, cependant, la présence (à la fin du vol. 2) d’un cd d’illustrations qui permet l’irruption bienvenue de la couleur dans cet océan de grisaille. Une remarque subsidiaire, pour conclure ces observations générales : j’ai été frappé par l’abondance (39 sur 129) d’articles signés de nos éminents collègues italiens (parfois, d’ailleurs, de simples annonces de thèses en cours de préparation). Est-ce vraiment significatif de la part qu’ils prennent dans la recherche proche-orientale ?

6Venons-en au principal. En archéologie comme ailleurs, on attend de telles rencontres une double information : sur les recherches en cours (état d’avancement d’un projet, compte rendu de fouilles) et un débat sur un sujet proposé par les organisateurs en fonction des intérêts du moment. En réalité, les comptes rendus de fouilles en cours (un classique du genre) se retrouvent éparpillés un peu partout dans les trois volumes, dans la partie thématique (de manière souvent acrobatique ou incertaine) comme dans une partie spéciale, où ils sont rejetés, de manière un peu dédaigneuse, en une sorte d’annexe (Fieldwork & Recent Research, vol. 3).

7Les deux autres volumes sont consacrés aux « thèmes » proposés. Si l’on met à part Islamic Archaeology (vol. 2) curieusement mis sur le même plan comme si c’était un thème en soi, le cru londonien propose 5 thèmes : Mega-Cities & Mega-Sites ; The Archaeology of Consumption & Disposal ; Landscape, Transport & Communication ; Ancient & Modern Issues in Cultural Heritage ; Colour and Light in Architecture, Art & Material Culture, Islamic Archaeology. Une présentation des articles réunis sur ces sujets de manière chronologique (de la haute préhistoire jusqu’à l’époque mongole, ce qui fait beaucoup) ou géographique (recherches en Anatolie, Iran, Levant, Asie centrale) aurait permis au lecteur intéressé (car personne ne portera une attention égale à une telle diversité) de se retrouver dans un tel flot d’informations. Aucun index, hélas, ne permet de classer ainsi les communications (ces index auraient heureusement pris la place de l’énorme tableau du Programme of the Congress, ré-imprimé dans chaque volume). Mais une présentation chronologique ou géographique ferait sans doute ringard.

8Ces thèmes sont de nature (et d’intérêt) divers. Certains soulèvent de vraies questions. Il faudrait cependant n’y regrouper drastiquement que des communications vraiment pertinentes. Sous le premier thème (Mega-Cities & Mega-Sites), on peut comprendre qu’il s’agit de se pencher sur l’apparition (et la disparition) de « mega-villes ». Aucune définition de ce terme n’est proposée. Point de limite chronologique. Aussi retrouve-t-on, sous ce chapeau, 11 articles portant sur des « villes » chalcolithiques (Çatal Hüyük !), des cités de l’âge du Bronze, Babylone, Persépolis et Séleucie. Le thème, en soi, n’est traité nulle part. Mais était-ce un bon sujet ? Ou une fausse bonne idée ?

9Le second thème (The Archaeology of Consumption & Disposal) est l’exemple typique d’un sujet « moderne ». Mais que recouvrent exactement ces expressions peu traduisibles en bon français ? La diversité des communications rassemblées est telle qu’on peine à comprendre l’intention des organisateurs. On y parle aussi bien de la « disposition » des « offrandes » dans les tombes que du regrattage des sceaux cylindres par des lapicides successifs. S’agit-il de remarques archéologiques sur le cycle complet d’un objet, depuis son acquisition ou sa fabrication jusqu’à sa mort, dans une tombe (mais alors est-ce bien une mort ?) ou dans une fosse à détritus (ou, pour le coup, il est bien censé disparaître) ? Il s’agit d’une archéologie de la consommation et du débarras, en quelque sorte, d’une archéologie de l’utilisation et du rejet ou de l’abandon. Rien de très nouveau. Mais Consumption exprime aussi la notion de quantité d’objets (ou de produits) qu’on utilise ou que l’on consomme, et pas seulement leur utilisation. Un objet disposé dans une sépulture a-t-il été rejeté ? Rejet serait plutôt discard, en bon anglais. Alors, abandon ? Bref, ces remarques sont si larges qu’on peut regrouper sous ce thème, finalement, à peu près ce qu’on veut. D’ailleurs, plus on tamise de déblais, plus les crédits baissent (M. Özdogan, p. 186-188) ou plutôt, plus les crédits baissent, plus on tamise. On calcule les volumes de soils transformés en cuboïdes. Au passage, cependant, on peut s’instruire sur les silos, les méthodes de stockage, les banquets dans les « temples », les très grandes jarres, la disposition des « offrandes », la reconstitution des « banquets funéraires », la production et l’abandon des Coba Bowls, les échanges locaux dans la vallée du Jourdain, les céramiques « miniatures » qui ne servent à rien d’utile, les fours et les foyers, la Porte des Lions à Arslantepe, les figurines animales à Leilan, l’artisanat à Ebla, la disposition des objets dans des tombes byzantines ou islamiques en Palestine. Tous sujets certes passionnants, mais dont on conviendra que le rapport étroit avec ce thème particulier peut échapper au lecteur. Alors, pourquoi s’encombrer d’un thème ?

10La troisième partie du vol. 1 rassemble des communications sur Landscape, Transport & Communication, plus de 200 p. sur un thème bizarre : on peut s’interroger sur le rapport entre le premier terme et les deux autres. 13 articles sont publiés ici sur les 47 qui ont été présentés à Londres. On perçoit l’immense progrès apporté en deux décennies par les méthodes modernes d’examen des surfaces par l’imagerie aérienne (photographies Corona enfin déclassifiées). On est à des années-lumière des conditions de travail qui étaient encore, par la force des choses, les nôtres à Larsa en 1985-1989. C’était, il est vrai, il y a bientôt 30 ans. Cela n’empêche pas d’enfoncer victorieusement des portes ouvertes. On apprend, par exemple (J. Ur, p. 525) que les milliaires romains ou les caravansérails musulmans peuvent être de bons marqueurs de l’existence d’une route. En effet. De nombreux articles sur les itinéraires, les traces de ceci ou de cela, sont malheureusement accompagnés de reproductions photographiques de si mauvaise qualité qu’il est difficile de se faire une idée de la valeur des informations. Parfois, la question des anciens canaux et la difficulté de les dater, ressurgit. Cela dit, les merveilleuses techniques modernes arrivent souvent trop tard dans des régions où les sols ont été définitivement perturbés par des machines qui font disparaître le palimpseste qu’on pourrait maintenant enregistrer et décrypter.

11Dans ce vaste fourre-tout, on retrouve des comptes rendus de fouille de type classique, sans rapport avec le thème (Kh. El Batrawy, par exemple). Pourquoi les insérer dans ce chapitre plutôt qu’ailleurs ? Aucune importance, on s’instruit au passage. Mais le rapport entre la distribution des sites néolithiques à piliers de la région d’Urfa (un bon historique de la recherche sur ce sujet depuis 1962, p. 695 sq.) et la chute du système de l’iqta dans la Syrie mamelouke du xve s. (article suivant) peut paraître lointain.

12Le vol. 2 regroupe les trois autres thèmes : Ancient & Modern Issues in Cultural Heritage ; Colour & Light in Architecture, Art & Material Culture ; Islamic archaeology. Le premier aborde, une fois de plus, la question du pillage du patrimoine iraquien. Les archéologues anglo-saxons s’agitent beaucoup, les Français, qui tenaient dans cette région un rôle non négligeable mais dont on parle peu, restent de marbre. Un bref résumé (P. Stone) des efforts aussi inutiles que désespérés de certains collègues étatsuniens pour s’opposer à un pillage généralisé du patrimoine iraquien, rappelle que lesdits archéologues « ne pèsent pas plus lourd que leur propre poids », selon la célèbre expression de De Gaulle, dans cette sombre affaire. Ce thème « patrimonial » ne réussit pas à attirer vraiment l’attention. Depuis les charmants efforts des enfants des écoles (Y. Paz, p. 33, sur les fouilles de Tel Bareqet), et l’exploitation touristique de Pétra (Al Salameen, p. 45) en regard des progrès d’une érosion dont s’alarmait déjà J. Starcky il y a près de 50 ans, ou la place des tribus Bdouls dans la « valorisation » du patrimoine archéologique de la région par la vente aussi intense que possible aux touristes de passage, en passant par un curieux article (Mac Sweeny, p. 63) sur l’Anatolie et ses nombreux « migrants » ou « émigrants » hittites, grecs, turcs, dont aucun n’est vraiment autochtone (mais quel pays est-il vraiment habité, de nos jours, par des autochtones ?), on aborde aussi l’éternel dossier de la publication/valorisation des tablettes cunéiformes trouvées clandestinement et datées/traduites/authentifiées, avant mise sur le marché, par des épigraphistes patentés, mais est-ce bien nouveau ?

13On attend donc un peu plus de « concentration » sur le second thème : Couleur et lumière en architecture, art et culture matérielle, qui regroupe une vingtaine d’articles. Le cd joint permet l’accès à de belles photographies en couleurs, indispensables sur un tel programme. Ce dernier thème est très « tendance ». Rôle de l’or (I. Winter, p. 153) symbole de rayonnement, mais aussi combinaison des couleurs dans le costume des dynasties iraniennes pré-islamiques, en passant par l’exposé d’un programme d’étude des ivoires d’Arslan Tash (quel rapport avec le thème ?) car certains, très peu, témoignent d’un revêtement à la feuille d’or ou d’incrustations de faïence. On aborde aussi les stucs parthes peints de l’Iraq du Sud. Quant à méditer sur le symbolisme des couleurs en Mésopotamie où l’on retrouve, paraît-il « dix couleurs de base », soit ! (encore un résumé de thèse). On a joint de brefs rapports sur quelques fragments de peintures murales (Tell Masaïkh), sur des « reconstructions digitales » de monuments de Persépolis, du château omeyyade de Qasr el Hallabat, ou du palais abbasside de Raqqa et sur des fragments de peintures murales de la Mosquée du Vendredi d’Isfahan, sur des marbres polychromes ghaznévides à Ghazni (p. 425) pour continuer par une étude du revêtement en or d’une statue en bronze de Hazor datée du xviiie/xviie s. (p. 445) et une autre des entonnoirs émaillés de Tell Afis (p. 459). Nous ne sommes pas menacés par un classement chronologique des communications ! Dans le cadre d’un thème aux contours qui semblaient précis, là encore le fourre-tout n’est pas loin. Le volume se termine par des articles d’archéologie « islamique » (troisième thème) portant sur la Méditerranée orientale, l’Iran, l’Anatolie, l’Arabie, l’Égypte. Rien sur l’Asie centrale, absente.

14Le titre du vol. 3, le dernier, (Fieldwork & Recent Research) pourrait donc aussi bien chapeauter ce qui a précédé. On est frappé par la variété (chronologique, géographique, méthodologique) des articles réunis ici. On ne peut en recopier la liste. On passe de fouilles à Chypre à des travaux à Tell Arbid, Tell Feres, Beydar, Shiyukh, Tuqan, Qatna, Tell Ahmar, en Syrie (avant 2010, ce pays se taillait la part du lion), en passant par des missions travaillant en Turquie, en Géorgie, en Azerbaïjan, en Arménie, en Iran du Nord. Enfin, une longue série (p. 397-717) de « posters » de niveaux divers, y compris des résumés de thèses plus ou moins ambitieuses et un peu (moins que d’habitude ?) d’archéométrie.

15Devant une telle inflation, une telle diversité, une telle variété d’intérêts, on peut se poser la question de l’utilité de ce genre de publication massive. Chaque spécialiste ne sera intéressé que par une petite partie de ces trois volumes et souvent ces brefs articles ne lui apprendront pas grand-chose dans son propre domaine. Pourquoi s’intéresserait-il à d’autres sujets, très éloignés de ses propres recherches ? La vie est courte. En revanche, si l’on garde toujours la nostalgie d’une « archéologie du Proche-Orient ancien » (à l’ancienne mode, c’est le cas de le dire !) il y a dans ces volumes un « balayage » de la recherche actuelle qui permet (mais il faut du temps libre !) de s’informer. Jusqu’où doit aller ce souci d’information ? On se posait déjà la question au début du xxe s. Et, à l’heure des moyens d’information numérisés, à quoi servent ces volumes papier ? Mais j’avoue qu’en leur absence, je serais bien en peine de me tenir au courant de ce flot d’informations. Et j’y ai trouvé bien des choses à glaner, y compris sur des points très précis de mes intérêts actuels. On peut se demander, cependant, combien de temps une telle formule survivra. La collection des ICAANE publiés fournit, à condition de s’y retrouver (et d’avoir de la place) un tableau utile des intérêts de la recherche actuelle, ce qui n’est pas rien. Cependant, les « archéologues orientalistes » intéressés par une telle variété de sujets sont sans doute une espèce en voie de disparition.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Louis Huot, « Roger Matthews & John Curtis (éd.), Proceedings of the 7th International Congress on the Archaeology of the Ancient Near East, 12-16 April 2010, the British Museum and UCL, London »Syria, 90 | 2013, 492-495.

Référence électronique

Jean-Louis Huot, « Roger Matthews & John Curtis (éd.), Proceedings of the 7th International Congress on the Archaeology of the Ancient Near East, 12-16 April 2010, the British Museum and UCL, London »Syria [En ligne], 90 | 2013, mis en ligne le 01 juillet 2016, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/syria/1987 ; DOI : https://doi.org/10.4000/syria.1987

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search